Brazzaville, une ville qui se meurt. La création de Brazzaville remonte au 3 octobre 1880 après la signature à Kuna du traité De Brazza - Makoko, roi des Tékés. Selon ce traité, « DE BRAZZA prenait possession au nom de la France du territoire situé entre Impila et la rivière Djoué » (Brazzaville, 1980). Il fut ratifié par le parlement français en 1882. Une copie fut remise au Makoko lors du troisième voyage de DE BRAZZA. « Sa délégation était composée de DECHAVANNES, Jacques DE BRAZZA, BALLAY, DOLISIE, DELASTOURS, Monseigneur AUGOUARD… » (BICKOUTA., 1997). Elle avait la mission de créer des postes administratifs.
A partir de 1884, DE CHAVANNES va entreprendre pour la première fois la construction d’une maison à Brazzaville : « DECHAVANNES se dirigea vers le village Mfoa, situé sur un plateau peu élevé, mais assez étendu; Le Congo en était distant de deux à trois cent mètres, le terrain était sablonneux…Il en fut rendu compte à DE BRAZZA. Le chef NGUIA fut convoqué. Il y eut une courte palabre. Les paillotes et plantations situées sur ce village furent indemnisées aux occupants environ 150 francs. Ainsi, l’emplacement de Brazzaville fut décidé » (GAVACHE P., 1949).
Par sa position, Brazzaville devait servir de relais entre les régions septentrionales de l’Afrique équatoriale française et l’océan. Peu à peu, ce site va connaître sa première forme d’urbanisation. « Par arrêté du 5 Octobre 1910, la ville est érigée en commune mixte » (Brazzaville, 1980). La ville européenne compte près de 500 européens et les autochtones sont repartis dans les agglomérations urbaines de Poto-poto et Bacongo où commence le tracé de quelques rues en damier. Jusqu’en 1917, la ville comptait près de 10 000 habitants. Mais, l’afflux des ruraux et l’accroissement naturel de la population feront que progressivement la ville dépasse ses limites spatiales initiales. Aussi, compte-t-elle de nos jours sept arrondissements :
1- Makélékélé 2- Bacongo 3-Poto-poto
4- Moungali 5- Ouenzé 6- Talangai 7- Mfilou.
Sur le plan démographique, Brazzaville comptait près de 850 000 habitants en 1996 (C.N.S.E.E., 1996) et en 2002 sa population a été estimée à 1 004 000 habitants, soit 1/3 de la population totale du pays. Et, d’après les projections des Nations-Unies, évidemment tributaires des incertitudes statistiques, Brazzaville comptera plus de 3 millions d’habitants en 2025 alors que le Congo en comptera près de 6 300 000 la même année.
Tableau 1 : Évolution de la population de Brazzaville : 1910-2025
Années
| Population
|
1910
| 6000
|
1917
| 10000
|
1937
| 20000
|
1945
| 50200
|
1955
| 92250
|
1961
| 127964
|
1970
| 200000
|
1974
| 289700
|
1978
| 400000
|
1984
| 584682
|
1996
| 850000
|
2002
| 1004000
|
2025
| 3000000
|
Source :Publi-Congo, C.N.S.E.E. et LE FORT C.
Depuis les années quatre vingt, ses habitants paient le prix fort de cette croissance démographique. Leurs revenus, auparavant bien supérieurs ceux des ruraux, ont été laminés, ce qui généralise la paupérisation.
Brazzaville, comme toutes les villes d’Afrique noire, traverse une phase de rupture d’équilibre entre grandeurs économiques, notamment entre production et consommation. Cette situation est liée à plusieurs facteurs :
Sur le plan socio-économique, « la dévaluation du franc C.F.A., monnaie utilisée dans la sous région, survenue le 12 janvier 1994, a aggravé l’état socio-économique de ce pays » (CAUDERT K., 1996).
Ensuite, le désengagement de l’État qui pourvoyait les emplois et assurait le travail aux jeunes diplômés.
En plus, les réductions de 30 % des traitements des fonctionnaires dans le cadre des programmes d’ajustement structurel sont venues aggraver la situation. « Dans l’ensemble, l’État emploi 81,8 % du monde salarié du secteur moderne » (R.P.S.A/OC, 1998).
Par ailleurs, certains fonctionnaires ont perdu leur emploi suite à l’application des mesures d’ajustement structurel.
Aussi, le payement irrégulier et tardif des fonctionnaires et des retraités rend-il difficile toute planification au niveau des ménages. Dans ces conditions, ils éprouvent des difficultés pour joindre les deux bouts du mois. Ils sont obligés de s’endetter pour survivre.
L’augmentation continuelle du coût de la vie est aussi un élément déterminant de la pauvreté, presque un drame pour les ménages pauvres.
Les guerres civiles (celle de 1993-1994; celle de juin 1997; celle de décembre 1998...) ont eu pour conséquences les départs des opérateurs économiques étrangers causant ainsi la fermeture des entreprises et sociétés industrielles dont ils étaient propriétaires. Par conséquent, cela a entraîné la perte des nombreux emplois pour ceux qui y étaient employés.
Les pillages des biens mobiliers et immobiliers dans les quartiers situés dans la zone sud de la ville (1998-1999) ont appauvri les ménages expropriés.
De même, l’insécurité généralisée qui règne dans la capitale politique n’est pas prête à arranger les choses : les investisseurs ne sont pas attirés, les ménages sont traumatisés, les initiatives populaires sont étouffées, les jeunes sont découragés, les braqueurs deviennent des héros.
Enfin, la mauvaise gouvernance, caractérisée par la règle de trois V: villas luxueuses, voyages en Suisse pour cacher les fonds publics détournés, voitures (dernières marques), a conduit au désarroi. A cela s’ajoutent des politiques socio-économiques inadaptées, appliquées par l’État en inadéquation avec les besoins réels des populations..
L’or noir semble être une « malédiction » pour Brazzaville, et les populations n’ont jamais bénéficié de la manne (SMITH S., 2003).
Le rejet du dossier présenté en vue d’être classé sur la liste des Pays Pauvres Très Endettés (PPTE) fait qu’il n’attend plus rien du nouveau programme soutenu par le FMI. Il ne peut plus bénéficier de l’allégement de sa dette extérieur. Près de la moitié de cet endettement est constitué d’arriérés. Le montant total de la dette est estimé à 5 Md de dollars. Une grande partie de cette dernière est gagée sur les ressources pétrolières, représentant la gestion par anticipation des redevances pétrolières. Ce pétrole, à lui seul représente 95 % des recettes d’exportation et contribue pour 60 % au PIB. La croissance estimée à 2,9 % en 2001 est descendue à 2, 6 % en 2002.(LE FORT C., 2004)
L’imprévoyance et la faillite de l’État expliquent la prolifération de la pauvreté. Les ménages touchés ne bénéficient d’aucune stabilité d’emploi, de logement, de revenus … La précarité ne permet plus aux chefs des ménages vulnérables de couvrir les besoins vitaux du groupe : manger, se soigner, se loger, s’habiller et assurer l’éducation des enfants.
Face à l’incapacité de l’État de résoudre de manière satisfaisante les problèmes liés à la crise, les chefs des ménages se débrouillent : c’est la loi du sauve-qui-peut.
Brazzaville a tout donc des caractéristiques des villes du sud :
· Nous y trouvons une pauvreté majoritaire, soit 44% selon l’étude réalisée par R.P.S.A./OC en 1998 et 47,6 % dans une étude menée au quartier Total.
· ‘’L’informalité’’ et l’illégalité: à Brazzaville, plus de la moitié de la population en âge de travailler survit grâce aux petits boulots ou aux commerces d’opportunité, ce que d’aucuns appellent secteur informel, et, souvent en inconformité avec les règles et lois en vigueur quand elles existent.
· Le manque de frontières : une urbanisation en expansion, dévoreuse d’espace.
· Une démographie galopante où les moins de 15 ans représentent plus 35% de la population totale.
· Enfin, sur le plan financier : Brazzaville bénéficie d’un financement extraverti contrôlé par des grands groupes financiers chercheurs de profits souvent au détriment des citoyens qui sont privés de la continuité, la qualité, et l’égalité de traitement et de services.
Le choix d’étudier la pauvreté et la fécondité à Brazzaville a été en priorité dicté par sa situation privilégiée qui fait d’elle la seule ville du Congo à posséder une aussi importante croissance démographique. C’est aussi là que la pauvreté sévit le plus. Car, nous y trouvons une proportion importante des jeunes sans situation professionnelle stable.
A première vue donc, Brazzaville répond aux critères d’un bon terrain d’investigation pour notre étude que nous avons choisie de mener dans un milieu urbain.
Enfin, l’étude de la pauvreté à Brazzaville nous permettra aussi de faire une comparaison des résultats que nous allons obtenir à ceux déjà obtenus en 1998 par le R.P.S.A. /O.C. et ainsi de mesurer le degré d’aggravation de ce fléau.
Étant donné que nous ne disposons pas des moyens financiers importants nous avons choisi de délimiter notre étude dans un quartier sud de Brazzaville, Bacongo.
Il faut dire que la pauvreté des ménages, l’instabilité sociétale, l’incertitude politique sont autant des facteurs qui peuvent favoriser le désir de ne pas avoir plusieurs enfants. Il est vrai que durant les conflits armés les gens ont plus les soucis de survie alimentaire et sanitaire que celui de procréer. Et, dans notre contexte guerres successives et crises financières fusionnées donnent une bonne explication de la profondeur de la pauvreté plus dans le sud de la ville où se situe Bacongo que dans l’ensemble de Brazzaville. En effet, notre quartier d’étude a connu tous les conflits armés qui ont eu lieu à Brazzaville ce qui n’est pas le cas de la partie nord de la ville. Par conséquent, nous supposons dans ce quartier la pauvreté sévit plus que dans les quartiers situés au nord.
Parmi d’autres motivations de cette sélection figure celle de repartir à Total, huit ans après nos investigations sur la pauvreté dans ce secteur de Bacongo. Nous y mesurerons aussi la profondeur de ce fléau dans la période post conflits de décembre 1998 en comparaison avec nos résultats datant de la période pré - conflits (mars 1998). La référence à ce conflit armé du 18 décembre 1998 est importante. Car, il constitue par son ampleur et ses conséquences destructibles l’apogée de la paupérisation des ménages, une paupérisation presque organisée.
Brice MATINGOU, Publié in Inégalité des revenus et fécondité
des ménagess entre 1994 et 2004: cas du quartier Bacongo,
mémoire DEA, Université paris1 Sorbonne, 2004