POIDS DES VILLES
La ville, contrairement à la campagne, était un espace à deux visages : le centre ville où vivaient les Européens et leurs principaux auxiliaires indigènes et, séparés, des nombreux quartiers en voie d’aménagement pour recevoir les vagues de nouveaux urbains. Ils venaient en ville soit, pour travailler chez les Occidentaux, soit, pour continuer leurs études. Une fois en ville, ils y restaient à vie même après la fin des études. En ce sens, « l’école a été au cours des dernières décennies un des vecteurs les plus efficaces de l’urbanisation, quel que soit le niveau considéré de la hiérarchie urbaine.»[1] Ils devenaient des demandeurs d’emplois. Les colons étaient les seuls pourvoyeurs d’emplois. La ville ne tenait que grâce à eux. Le salaire gagné finance l’acquisition d’une parcelle qui constitue le préalable à la construction populaire dans les villes africaines parfois sans permis de construire, ni architecte. La maison une fois achevée devient un ‘’centre d’accueil’’ pour des ‘’frères et sœurs’’ restés à la campagne. Chacun imitera le même schéma qui à moyen terme conduit à la croissance spontanée de la ville.
Quand les Africains accèdent à l’indépendance, les Européens quittent l’Afrique. Le premier acte que les dirigeants africains posent est de s’installer au centre ville dans des logements laissés par les Occidentaux. Ce fut un prestige qui les distingua de la masse. Ces ‘’nouveaux Européens’’ héritent du centre ville aménagé par les colons pour eux-mêmes. Mais, à l’extérieur du centre ville, aucun aménagement n’a été prévu pour recevoir des milliers des nouveaux urbains attirés par la ville. Ils continueront à s’entasser dans des espaces inachevés qui n’ont de la ville que le nom, un tas de constructions misérables. Il faut le dire, les nouveaux hommes au pouvoir n’ont pas de code de gestion de la ville ou des villes. Là encore, la ville est une invention européenne. Elle fonctionne et tient en place selon un certains nombre de codes que le colonialiste n’avait pas communiqués à l’Africain. Ils seront incapables de développer les politiques des villes qui puissent satisfaire aux attentes des populations. L’inaction conduira à l’explosion urbaine avec tous les problèmes que cela implique.
On peut se demander si l’Afrique pour son développement avait besoin des villes dans leur forme actuelle ? Comme nous l’avons souligné plus haut, l’Africain dépendait essentiellement de l’économie de la cueillette. Et l’absence de cette forme d’économie en ville modifie son rapport au monde.
Au fur et à mesure que la ville se développait, elle attirait de plus en plus de monde. Des nouveaux besoins liés à la croissance de celle-ci ne sont plus satisfaits soit, par ignorance, soit, par manque de moyens. Aucune politique d’intervention ou de planification ne risque plus d’être possible. La ville va tout simplement se développer en se désorganisant. Par ailleurs, l’évolution de la démographie des nouvelles villes va dépasser toutes les estimations. D’où par réflexe, comme pour résister, l’Africain ‘’ruralise’’ l’urbain. C’est peut-être la fin de la ville au sens qu’on donne à ce mot. Par incapacité de s’adapter à ce que l’Européen avait créé pour lui, l’Africain s’approprie la ville en la modifiant jusqu’à ce qu’elle s’adapte. Ainsi, dans la ville africaine cohabitent deux visages : la ville centrale, européenne, autour de laquelle s’accroche la ville africaine.
Dans la première, vivent des Africains « blanchis » qui vivent à l’européenne à tous points de vue. La deuxième est la reproduction à l’identique de l’espace rural avec ses solidarités.
La ville cause la perdition des nombreux Africains qui n’y trouvent pas ce qu’ils avaient abandonné : la campagne. Et c’est en ville qu’on trouve le plus grand nombre de « sans-activités ».
La ville symbolise la marque européenne en Afrique. Au lieu de créer des richesses, elle appauvrit. L’Africain dans son être s’y désintègre, car il est trop éloigné de son mode de vie le plus courant. C’est la caractéristique de toutes les importations jamais assimilées et surtout jamais revisitées culturellement comme les modèles politiques. Brazzaville est un cas parmi tant d’autres. En effet, sur tous les plans, Brazzaville remplit tous les critères d’une ville pauvre. A cause premièrement, d’une population majoritairement jeune (40 % ont moins de 20ans) et deuxièmement, parce que la moitié des personnes en âge de travailler, survivent grâce aux petits boulots ou commerces d’opportunité, ce que d’aucuns appellent le secteur informel. Troisièmement, en raison d’une explosion urbaine sans aménagement préalable et qui n’est pas près de s’interrompre, car la superficie d’une ville triple lorsque sa population double.