III-3-5 : POIDS DES MODELES ECONOMIQUES IMPORTES
Les modèles économiques que les nouveaux dirigeants Africains adoptent au sortir de la colonisation n’inspirent guère confiance, ce qui fera dire à R. Dumont que « l’Afrique noire est mal partie.» Ils prônent un développement de type occidental sans avoir analysé les contextes socioculturels. L’objectif est de faire du copier-coller, comme je l’ai souligné, sur les modèles politiques. Comment pouvaient –ils faire autrement, tant que la dépendance culturelle était totale ? Durant les années 1980, la situation du continent devient alarmante en raison de l’inefficacité économique des dirigeants. Elle se caractérise par un abandon de l’agriculture, par le déclin de la production industrielle, par de médiocres performances dans l’exportation, par l’accumulation des dettes et par une dégradation des indicateurs sociaux, des institutions et de l’environnement. Tout ceci a un coût humain considérable. Les dépenses consacrées aux services sociaux ont fortement diminué, le taux de scolarité est en baisse, la situation nutritionnelle empire et la mortalité infantile élevée. Le paludisme continue de tuer, alors que les tués par V.I.H. sont incalculables dans certains coins. Le tout se traduisant par une perte de confiance chez de nombreux jeunes diplômés, sans emploi. Et, pendant ce temps l’ « Etat fait la politique du ventre.»1
Fortes de ce constat, les institutions monétaires internationales ont tenté d’intervenir dans le continent. En effet, depuis la disparition de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (U.R.S.S.) en 1991 et l’effondrement du bloc communiste, qui prônaient la collectivisation des moyens de production et l’intervention de l’Etat dans l’économie nationale, le capitalisme était présenté comme le modèle de production de référence. Ce modèle basé sur la libre concurrence et la course effrénée à la production des biens de consommation soutenu par le monde occidental, sera peu à peu imposé directement ou indirectement aux pays africains. Ainsi, dans les années 1990, les « théologiens » du capitalisme, soutenus pas les institutions de Bretton Woods, la Banque Mondiale et le F.M.I.2 élaborent des programmes d’ajustement structurel imposés aux Etats africains.
Vingt ans plus tard, force est de constater que tous ces programmes conçus depuis les bureaux occidentaux sans associer les populations africaines concernées, ont échoué. Car non seulement, ils n’ont pas créé la richesse mais plus grave encore, l’Afrique est plus pauvre qu’auparavant. Aujourd’hui encore, certains producteurs africains de la zone francs (Benin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Congo, Côte-d’Ivoire, Gabon, Guinée-Equatoriale, Mali, Niger, Sénégal, Tchad, Togo et les Comores) n’arrivent pas à se relever après la dévaluation en 1994 du franc CFA3. Suite à ces échecs à répétition, ces modèles économiques qui régissaient l’Afrique ont été remis en question. Les thérapies néolibérales ont, dans la plupart des pays, fait éclater le contrat social issu des indépendances (dans certains pays du continent africain, l’espérance de vie à la naissance est retombée à son niveau de 1970, inférieur à 60 ans).
C’est donc à la suite de ces dégâts sociaux que la Banque mondiale et le F.M.I. parrainent de nouveaux programmes économiques, tels les documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté, ou des remises ou annulation de la dette dans les pays pauvres très endettés.
Il est clair que ces politiques basées sur l’aide, sont tributaires des fluctuations des économies occidentales. Une fois de plus, les pays africains ne comptent que sur les Occidentaux pour payer la facture. Aujourd’hui ceux-ci, submergés par la crise se résignent à des projets plus prioritaires, c'est-à-dire ceux qui concernent leurs économies. Ce n’est donc pas par hasard que les Etats africains se trouvent privés de moyens pour redistribuer les revenus (quand ceux-ci n’ont pas été détournés par ceux qui devaient assurer le bien-vivre de leurs populations). Force est de constater qu’à quelques années de la fin des décennies pour l’élimination de la pauvreté (2015), le bilan est catastrophique.
Aujourd’hui, plus qu’avant, les inégalités se sont accrues entre les pays les plus riches, qui continuent de s’enrichir, et les pays les plus pauvres, qui continuent de s’appauvrir. Par conséquent, la pauvreté continue à se développer et se généralise dans le continent. On parle de la paupérisation. Et puisque la communauté internationale s’immobilise en raison de la crise, les Etats au sud du Sahara, sans réelle démocratie et sans bonne gouvernance assistent à leur propre ruine. On doit s’attendre de façon inéluctable à l’aggravation lente ou rapide (selon les pays) et progressive des conditions de vie des populations.
On en vient à se poser une question qui me paraît légitime. Pourquoi tous les modèles du développement économiques occidentaux échouent –ils en Afrique ?
A cette question, chacun tente de répondre. C’est ainsi que, les nouveaux partisans du malthusianisme pointent du doigt ce que l’Africain a de plus cher au monde : ses enfants. C’est la thèse des nouveaux théologiens du néo-malthusianisme. Déjà en 1991, R. Dumont écrivait que la démographie est « la cause de la pauvreté en Afrique.» C’est là qu’on enregistre le taux de croissance le plus élevé de la planète. La population est estimée à un milliard (fin 2009) dont plus de 250 millions en situation de précarité (personnes disposant moins d’un dollar par jour). En 2050, on estime à 2 milliards la population africaine, soit le double en l’espace de quarante ans. A ce rythme, la proportion des populations pauvres va exploser car selon le FNUAP4 cette croissance ne va pas se ralentir.5
Si cette croissance inquiète, c’est qu’elle augmente à peu près au même rythme que le nombre des pauvres. Soit, 3% par an, près de 20 millions de personnes. En effet, une forte fécondité engendre une pauvreté élevée par le jeu de déséquilibre qui s’instaure lorsqu’on a trop de bouches à nourrir pour une nourriture insuffisante. C’est la thèse de l’économiste Thomas Malthus qui explique que si le nombre des personnes augmente selon un taux de croissance géométrique, la production de nourriture, elle ne peut suivre qu’à un rythme arithmétique.
Le rapport est simple, 75% des richesses du monde sont entre les mains de 25% de la population mondiale, une grande partie de ces richesses se trouve au Nord, tandis que, 75% de la population se contente du reste, soit 25%. Elles sont majoritairement au Sud. Dans ces conditions, certains parlent de catastrophe humanitaire.
Face à ce chaos, les populations s’organisent ou se débrouillent en tentant de « faire quelque chose.» Elles adoptent des stratégies endogènes de lutte contre la pauvreté. C’est le sauve-qui-peut sous le regard indifférent de la françafrique. La fuite du continent africain est considérée par des nombreuses familles comme une stratégie de lutte contre la pauvreté.
Une fois de plus, dans leur lutte contre la pauvreté, des populations nombreuses déçues par leurs dirigeants ne comptent que sur l’aide internationale. C’est dans ce contexte qu’est survenue la crise internationale de 2008, plombant ainsi l’espérance de la population.
En effet, l’Histoire retiendra que l’année 2008 est marquée par une crise financière mondiale plus grave que celle la Grande Dépression de 1929. Toutes les économies des pays industrialisés ont subi des conséquences qui marqueront encore longtemps le libéralisme.
Pour une première fois, le monde découvre l’horreur du libéralisme caractérisé par l’abondance des crédits, la recherche d’un profit maximum et la dérèglementation à tout prix. Cette crise s’accompagne de nombreuses pertes d’emplois soit, à cause des licenciements, soit à cause des fermetures des usines, ou encore à cause de la stratégie de survie de l’entreprise. Le chômage augmente. Aux U.S.A., pays où est née la crise, de nombreuses familles perdent leurs maisons car elles ne peuvent plus honorer leurs créanciers. Par ricochet, certaines grandes banques (plus de 150, uniquement aux U.S.A.), symboles du capitalisme, font faillite.
Ainsi, en Occident, au milieu de l’abondance alimentaire, la pauvreté refait surface. On parle de la renaissance de la pauvreté. En France, malgré la présence au gouvernement d’un secrétaire d’Etat chargé de la lutte contre la pauvreté, les associations comme le Secours catholique et les Restos du cœur, qui offrent des aides alimentaires aux familles démunies, ont vu le nombre de personnes inscrites sur leurs listes augmenter de 2,3%, en l’espace de deux ans.
Il est certes vrai que la nature de cette pauvreté n’est pas la même que celle des pays du Sud mais la menace est réelle. De même, la crise financière actuelle n’est pas la première de l’Histoire ; elle est seulement plus brutale, plus ample et plus profonde que toutes celles qui l’ont précédée.
Face à cette crise et celle de voir tout le système s’écrouler (économies nationales et mondiales), les pays leaders de la planète, réunis au sein du G206 se sont mobilisés avec plus de 3 000 milliards de dollars de plan de relance et de sauvetage. Ils renflouent l’épargne des banques afin de soutenir la consommation des ménages et de la production. Ces plans de sauvetage vont peut-être stopper l’effondrement, ou mieux, la crise. Malgré tout, ces pays connaîtront la récession économique. Celle-ci oblige certains à se replier sur eux-mêmes. Ce qui aura des répercussions dans de nombreux pays pauvres, notamment en Afrique.
Contrairement à la déclaration d’Abdoulaye Wade7 qui affirmait à la RFI8 que « la crise financière sera limitée pour l’Afrique » en raison de sa faible insertion dans l’économie mondiale (3%), ses effets sont évidents. Certains pays comme l’Afrique du Sud, par l’entremise d’Old Mutual, a perdu 135 millions de dollars du fait de sa connexion avec les institutions financières américaines. La baisse de la demande de matières premières a entraîné la baisse des prix. Ainsi, les pays exportateurs africains on vu leurs revenus diminuer. Les experts de la Banque Africaine du Développement estiment cette perte à 40% soit, 251 milliards de dollars en 2009 et 277 milliards en 2010.
Les investissements directs étrangers ont ainsi diminué. Par ailleurs, le flux des capitaux étrangers en direction de l’Afrique a subi un choc. Les grands projets en cours sont ralentis ou reportés comme celui des centrales électriques au Botswana, l’interconnexion électrique de la CEDEAO.9 Les migrants africains installés en Occidentaux contribuent de façon directe au transfert des fonds vers l’Afrique (20 milliards en 2008). Cependant, la crise a modifié les comportements. Les sommes envoyées ont été moins importantes en 2009. Nous savons par ailleurs que des nombreux Africains survivent à partir de ces aides.
Le repli sur soi des Occidentaux comme stratégie de lutte contre la crise a aussi des incidences sur l’aide publique au développement. Pour atteindre les objectifs du millénaire (dispositifs de lutte contre la pauvreté), les pays riches devaient doubler leurs contributions en 2010 soit 50 milliards de dollars. En 2009, ils n’ont réuni que 26 milliards. Ce qui est loin d’arranger le sort des milliers d’Africains. Tout incite donc à penser que la lutte contre la crise se fait en sacrifiant les objectifs du millénaire.
Pour tenter de faire face à cette dégradation permanente, certains Etats africains ont recours aux apports des capitaux étrangers. Selon la BAD,10 106 milliards sont nécessaires pour revenir au niveau d’avant la crise. Si l’Afrique en vient à envisager le recours aux apports financiers étrangers pour sortir de cette crise qu’elle subit, alors que ces ‘’solutions’’ provisoires avaient montré leurs limites, c’est qu’elle se referme dans un piège-spirale d’autant plus que par le passé cette option n’a jamais amélioré les conditions de vie des populations.
Cette crise a sonné le glas d’un système que les Africains avaient adopté sans réellement le connaître, mais auquel ils croyaient malgré tout.
Il ressort que le continent est très vulnérable face aux fluctuations du système économique dans lequel il évolue. L’Afrique n’a aucune maîtrise des phénomènes mondiaux, et c’est aussi elle qui est la plus exposée. Ce danger explique que la pauvreté a de l’avenir en Afrique. Déjà dans le passé, dans les conditions nettement meilleures, le problème de pauvreté était posés en termes de mauvaise gestion des gouvernants qui refusaient et refusent toujours de redistribuer les revenus. Au Congo Brazzaville, par exemple, mais aussi dans beaucoup des pays l’écart est choquant entre le P.N.B.11 et le revenu réel par habitant. Dans ce cas, la gabegie financière et les détournements des fonds publics par les dirigeants africains et leurs acolytes, sont les éléments explicatifs de la misère qui frappe la majorité de la population. Toutefois, peut-on parler de la pauvre africaine ?
C’est de façon globale qu’on dit que l’Afrique est pauvre, car la réalité est plus : certains pays le sont, d’autres non.
Ma connaissance socioculturelle du terrain me permet de bien cerner des situations, tout en répondant avec prudence. Il y a des situations de guerres, de catastrophes naturelles, qui prennent en otages des milliers d’individus dont l’issue fatale est la pauvreté absolue.
En dehors de cette catégorie, il y a des individus privés de travail, de perspectives et d’opportunités. Ils n’ont pas accès à la moindre ressource et ne peuvent faire valoir leurs droits. Dans ces conditions, ils sont aussi pauvres selon la définition de l’économiste A. Sen.12
Par contre, la pauvreté définie en termes de manque ou d’insuffisance de revenus : pauvreté monétaire, conditions de vie, aisance financière, ne peut que donner des résultats biaisés. En effet, dans la conception africaine, manquer de revenus n’est pas forcement synonyme de pauvreté, au sens de manquer d’argent, et je l’ai déjà souligné, dans les sociétés occidentales. Ainsi, toute théorie basée sur le un « dollar par jour » trouve là sa limite. Etant entendu que l’individu fait partie intégrante du groupe, comme maillon d’une chaîne, les membres du clan, par solidarité clanique viennent au secours de chacun. En dehors de cette assistance, bien d’autres formes de solidarité existent grâce au maillage social. Par conséquent, être exclu ou s’exclure du groupe, est plus dangereux que perdre un emploi.
1 Op-cit
2 Fond Monétaire International
3 Monnaie des Colonies Françaises d’Afrique
4 Fond des Nations-Unies pour la population et le développement
5 Brunel S.
6 Les pays les plus industrialisés
7 Président de la Francophonie et ancien Président de Sénégal
8 Radio France Internationale
9 Communauté économique d’Afrique de l’ouest
10 Banque Africaine du Développement
11 Produit national brut
12 Cette approche a été utilisée pour la première fois en 1997