III-3-1 : POIDS CULTUREL
Après plus de cinq siècles de domination et d’effacement identitaire, le Koongo ou mieux l’Africain doit faire face au premier défi, celui de se définir après une longue série d’aliénations. Mais, comment se défaire d’une identité que le colonisateur et les missionnaires de la civilisation ont mis des siècles à bâtir dans du cerveau de l’Africain ?
Faute de moyens et de courage, l’Africain s’est lancé dans le nouveau monde sans son identité, sans créer son monde propre où se retrouver, tout simplement. Il va manger, s'habiller, parler, penser, agir, réagir.... comme l’ex maître. Pas d'alternative possible. Soit, on assimile la civilisation, soit, on reste sauvage. Sauvage ! Personne ne veut rester sauvage ! Quel malheur ! Le sauvage est compris comme celui qui ne fait pas comme l'Européen. A cet exercice d’imitation, les Africains mieux que les Asiatiques ont assimilé la leçon. Ils n'ont rien compris, mais tout appris et tout pris. En agissant de la sorte, l'Africain a perdu ce qui le caractérisait : son identité. Il est devenu cet homme à la « peau noire masque blanc. »1 Il a perdu ses repères et se perd. Pour tout dire, il est perdu. En Afrique, parler la langue de Molière avec ses enfants en ville comme au village est un signe de prestige. Des milliers d'enfants grandissent ainsi sans connaître une seule langue africaine. C'est le complexe, signe extérieur de l'idiotie. Cette pauvreté mentale à elle seule expliquerait d’autres formes de pauvreté.
L'Asiatique, au contraire, a tout compris des Occidentaux, sans rien perdre de lui-même, il a tout pris. C'est ce qui fait sa force aujourd'hui. Ce n'est pas étonnant que le XXIe siècle soit celui de la Chine. Les voilà partis pour ré-colonialiser l'Afrique. Arracher à ce continent les miettes qui échappent aux Occidentaux.
Le dernier point, qui n’est pas moins important, est celui du rapport de l’Africain au travail. Pour des milliers d’Africains, le ‘’logiciel’’ mental n’a jamais changé, en dépit de tout. L’Africain au sortir de l’esclavage et de la colonisation pendant laquelle il était sujet aux corvées, avait retrouvé ses réflexes de production et de consommation de la période post-occidentale c’est-à-dire qu’il ne travaille pas pour s’enrichir. Car la vraie richesse qui compte dans ces sociétés ce n’est pas l’argent, contrairement à tout ce qu’on peut penser, mais les enfants. Ici, les enfants ne sont pas une ‘’charge’’ mais, une chance. Ce qui n’est pas une négation du travail. Mais, le travail n’est acceptable que dans la limite de la subsistance. L’Africain ne travaille que pour vivre. Il n’est nullement question de vivre pour travailler. Il s’agit d’un travail de subsistance, car l’Africain dans son être même n’est pas accumulateur. Tant qu’il était dans un système traditionnel où la nature était pourvoyeuse de bien, la vie se déroulait à peu près bien. Or, une fois de plus, on se retrouve dans un système qui a tout fait pour attirer les jeunes vers la ville. Et, la ville nouvelle (celle héritée par des Africains) ne distribue pas le travail. De toute façon, même quand il y a des postes à pourvoir, les collaborateurs de la françafrique les confient en priorité aux membres de l’ethnie : ce qui exclut tous les autres et remet la question ethnique au centre du débat. Or la présence des ethnies revendiquées en tant que telles est une menace réelle qui pèse sur l’identité nationale dans la mesure où au lieu de fusionner et se fondre dans la Nation, elles s’excluent et donnent naissance aux républiques des ethnies.
III-3 -3 : POIDS DES VILLES
La ville, contrairement à la campagne, était un espace à deux visages : le centre ville où vivaient les Européens et leurs principaux auxiliaires indigènes et, séparés, des nombreux quartiers en voie d’aménagement pour recevoir les vagues de nouveaux urbains. Ils venaient en ville soit, pour travailler chez les Occidentaux, soit, pour continuer leurs études. Une fois en ville, ils y restaient à vie même après la fin des études. En ce sens, « l’école a été au cours des dernières décennies un des vecteurs les plus efficaces de l’urbanisation, quel que soit le niveau considéré de la hiérarchie urbaine.»3 Ils devenaient des demandeurs d’emplois. Les colons étaient les seuls pourvoyeurs d’emplois. La ville ne tenait que grâce à eux. Le salaire gagné finance l’acquisition d’une parcelle qui constitue le préalable à la construction populaire dans les villes africaines parfois sans permis de construire, ni architecte. La maison une fois achevée devient un ‘’centre d’accueil’’ pour des ‘’frères et sœurs’’ restés à la campagne. Chacun imitera le même schéma qui à moyen terme conduit à la croissance spontanée de la ville.
Quand les Africains accèdent à l’indépendance, les Européens quittent l’Afrique. Le premier acte que les dirigeants africains posent est de s’installer au centre ville dans des logements laissés par les Occidentaux. Ce fut un prestige qui les distingua de la masse. Ces ‘’nouveaux Européens’’ héritent du centre ville aménagé par les colons pour eux-mêmes. Mais, à l’extérieur du centre ville, aucun aménagement n’a été prévu pour recevoir des milliers des nouveaux urbains attirés par la ville. Ils continueront à s’entasser dans des espaces inachevés qui n’ont de la ville que le nom, un tas de constructions misérables. Il faut le dire, les nouveaux hommes au pouvoir n’ont pas de code de gestion de la ville ou des villes. Là encore, la ville est une invention européenne. Elle fonctionne et tient en place selon un certains nombre de codes que le colonialiste n’avait pas communiqués à l’Africain. Ils seront incapables de développer les politiques des villes qui puissent satisfaire aux attentes des populations. L’inaction conduira à l’explosion urbaine avec tous les problèmes que cela implique.
On peut se demander si l’Afrique pour son développement avait besoin des villes dans leur forme actuelle ? Comme nous l’avons souligné plus haut, l’Africain dépendait essentiellement de l’économie de la cueillette. Et l’absence de cette forme d’économie en ville modifie son rapport au monde.
Au fur et à mesure que la ville se développait, elle attirait de plus en plus de monde. Des nouveaux besoins liés à la croissance de celle-ci ne sont plus satisfaits soit, par ignorance, soit, par manque de moyens. Aucune politique d’intervention ou de planification ne risque plus d’être possible. La ville va tout simplement se développer en se désorganisant. Par ailleurs, l’évolution de la démographie des nouvelles villes va dépasser toutes les estimations. D’où par réflexe, comme pour résister, l’Africain ‘’ruralise’’ l’urbain. C’est peut-être la fin de la ville au sens qu’on donne à ce mot. Par incapacité de s’adapter à ce que l’Européen avait créé pour lui, l’Africain s’approprie la ville en la modifiant jusqu’à ce qu’elle s’adapte. Ainsi, dans la ville africaine cohabitent deux visages : la ville centrale, européenne, autour de laquelle s’accroche la ville africaine.
Dans la première, vivent des Africains « blanchis » qui vivent à l’européenne à tous points de vue. La deuxième est la reproduction à l’identique de l’espace rural avec ses solidarités.
La ville cause la perdition des nombreux Africains qui n’y trouvent pas ce qu’ils avaient abandonné : la campagne. Et c’est en ville qu’on trouve le plus grand nombre de « sans-activités ».
La ville symbolise la marque européenne en Afrique. Au lieu de créer des richesses, elle appauvrit. L’Africain dans son être s’y désintègre, car il est trop éloigné de son mode de vie le plus courant. C’est la caractéristique de toutes les importations jamais assimilées et surtout jamais revisitées culturellement comme les modèles politiques. Brazzaville est un cas parmi tant d’autres. En effet, sur tous les plans, Brazzaville remplit tous les critères d’une ville pauvre. A cause premièrement, d’une population majoritairement jeune (40 % ont moins de 20ans) et deuxièmement, parce que la moitié des personnes en âge de travailler, survivent grâce aux petits boulots ou commerces d’opportunité, ce que d’aucuns appellent le secteur informel. Troisièmement, en raison d’une explosion urbaine sans aménagement préalable et qui n’est pas près de s’interrompre, car la superficie d’une ville triple lorsque sa population double.
1 Fanon F.
2 Ngoïe-Ngalla D. (3)
3 Pourtier R.