Il existe plusieurs études de cas sur la pauvreté et la fécondité dans la littérature. Ces études menées dans différents coins du monde nous donnent des résultats tout à la fois complémentaires et contradictoires.
La question de savoir s'il y a une relation de cause à effet entre pauvreté et fécondité a donné lieu à ce qu'on appelle « les théories de transition ».
En effet, dans les théories classiques les plus anciennes, les facteurs de la baisse de la fécondité sont : les taux de mortalité, d'urbanisation, d'alphabétisation, la densité rurale et les rendements agricoles. Ces facteurs sont des variables assez communément acceptées pour définir précisément un processus d'industrialisation et de modernisation socio-économique. COALES et HOOVER, intègre à la série des facteurs de modèles classiques : la culture, la religion et la communication. La prise en compte de ces phénomènes, qui ne sont pas de nature économiques, marquent l'introduction d'une dimension culturelle dans un schéma de relation jusqu'alors exclusivement dédié aux variables démographiques et socio-économiques.
Un troisième modèle dit du « développement équitable », établi par REPETTO ajoute des facteurs comme : indice du salaire réel, distribution des terres, revenus moyens des individus sans terres, dépenses de mise en valeur foncière. Ce modèle montre l'effet de l'économique sur le démographique et insiste sur la structure de la distribution des richesses entre les différentes couches de la population. Il ressort au vu de cette analyse que la distribution des richesses peut être l?instrument susceptible de faire chuter le taux de fécondité. De même les fortes inégalités socio-économiques peuvent avoir un impact négatif sur la baisse généralisée de la fécondité.
Une autre théorie présentée par Les culturalistes va mettre en cause l'idée d'une baisse de la demande parentale d'enfant consécutive à des changements macro- économiques: « Réduire sa fécondité doit être avantageuse. Les circonstances sociales et économiques doivent conduire la réduction de la fécondité à être perçue comme un avantage par le couple ». Ce modèle privilégie les idéaux au détriment du déterminisme économique.
Dans les années 80, un autre modèle a vu le jour en réaction à la thèse culturaliste : le courant des approches institutionnelles. Il prône l'importance des changements institutionnels dans l'évolution de la fécondité. McNICOLL, CAÏN, et KRIEGER, défenseurs de ce courant insistent sur la transformation des cadres institutionnels en vue de modifier les comportements de fécondité.
Aux « théories de transition » qui mettent en avant les améliorations socio-économiques comme déterminantes dans la baisse de la fécondité on oppose les situations observées dans certains pays où une croissance économique élevée ne s'est jamais accompagnée d'une baisse de fécondité et où les familles élargies n'ont jamais cessé d'exister. Ces éléments ont permis de remettre en cause toutes les théories de transition.
Par ailleurs, depuis le milieu des années 80, la pauvreté dans les pays du sud et ses conséquences sont apparues peu à peu comme un nouveau paradigme. L'évolution de la fécondité dans ces sociétés dessine un panorama plus riche et plus subtil qu'on nomme parfois « la transition de crise ».
En matière de fécondité dans les pays pauvres, les recherches font état de différentes hypothèses, jamais soupçonnées par les théories classiques. Entre autres :
- Baisse de la fécondité sous l'effet de la crise
- Malthusianisme pour les groupes les plus démunis
- Diminution de la fécondité dans un contexte de crise socio-économique
- Transition de la fécondité par l'action politique dans les pays les plus pauvres.
A la lumière de cette lecture de la littérature, il ressort que la relation entre pauvreté et fécondité est une relation complexe, contingente et ambiguë qui peut se résumer en trois points.
· La pauvreté est un élément justificatif pour que les responsables de ménages accélèrent leur fécondité. Dans ce sens, les enfants procurent une assurance- vieillesse. Ceci est contesté par d'autres chercheurs qui pensent que les plus pauvres des pauvres ont des vues à très court terme. Nous connaissons encore trop mal les éléments de réponse à cette question dans le cas de Bacongo.
· La pauvreté est un élément justificatif pour que les acteurs des ménages réduisent leur fécondité. Dans ce sens, les coûts d?élevage des enfants de plus en plus élevés incitent à la limitation des enfants. Par contre, d?autres chercheurs suggèrent que les plus pauvres des pauvres ne calculent pas les coûts qui sont liés aux enfants. Là encore les éléments de réponses sont mal connus à Bacongo.
· Pour d'autres chercheurs, il n'y a aucune étude sérieuse sur la question permettant d'affirmer la causalité entre pauvreté et fécondité de façon directe :
- En état actuel de connaissance, il n'y a aucune raison de croire que ce sont les pauvres
qui ont la fécondité la plus élevée.
- Par ailleurs, d'autres chercheurs encore suggèrent que la relation causale entre pauvreté - fécondité, n'étant pas directe, soit saisie à partir des variables socioculturelles comme l'instruction des mères. En effet, un faible niveau d'instruction est responsable d'une forte fécondité pour plusieurs raisons parmi lesquelles l'incapacité d'utiliser les moyens contraceptifs (cette analyse semble d'ailleurs faire l'unanimité). Ainsi, dans Vivre à Brazzaville, nous pouvons lire « les changements des mentalités féminines » sont « liés à la scolarité prolongée des jeunes filles dans la capitale » p. 88. L'auteur continue, « très attachées à préserver leur (?) scolarité, les trois quarts d'entre elles souhaitent contrôler leur fécondité » p. 89. Le souci de réussir les études serait, selon l'auteur, le premier « motif des avortements clandestins » p. 92. Ce qui se traduit par « l'âge des premières grossesses » qui « tend à être retardé. Entre les deux recensements, c'est encore le taux de fécondité des 20-24 ans qui a le plus baissé. La scolarité dans le secondaire est le facteur décisif de cette évolution : au même âge, les jeunes mères sont deux fois plus nombreuses chez les femmes non scolarisées. » p 93. « La conséquence est une baisse globale de la natalité. Son taux a diminué de 10 points entre 1974 et 1984 (?) selon les projections, cette tendance devrait s?accentuer dans la dernière décennie du siècle » (DORRIEL- APPRIL, 1998).
Nous pensons que la baisse de fécondité constatée à Brazzaville ne peut pas se justifier sans aucune référence aux effets néfastes de la pauvreté. Pour nous, il est claire que des telles conclusions sont réductrices et n'ont pas tenu compte d'une variable peut être plus déterminant selon nous : la pauvreté. Mais, déjà in Transitions démographique et familiale nous pouvons lire, «si la transition de la fécondité intervient où s'accélère en période de difficultés, ce sont les mutations antérieures en matières d'instruction qui permettent cette évolution » (VIMARD P.).
Une connaissance socioculturelle du terrain et notre enquête nous permettent de penser qu'une autre étude doit être menée sur ce sujet afin de vérifier la corrélation Pauvreté - Instruction - Fécondité. Une question nous vient à l'esprit :
Dans le cas de Brazzaville, le phénomène pauvreté est - il déclencheur ou accélérateur dans le changement de la fécondité ?
Cette question attire notre attention et mérite qu'elle soit prise au sérieux, parce que nous connaissons trop mal les facteurs d'explication de la relation Pauvreté - Fécondité.
Toutes les questions soulevées dans le cadre notre lecture spécialisée sont autant des problèmes qui, dans la mesure du possible, trouveront les éléments de réponses dans le cadre spécifique de Brazzaville. Au vu des doutes constatées dans les études empiriques reliées à notre thème particulier nous estimons qu'il est justifier d'entreprendre une nouvelle recherche. La problématique devrait nous aider à mieux aborder notre sujet de recherche.