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  • : AFRIQUE-PAUVRETE-AVENIR
  • : Ce blog traite des causes endogènes et exogènes liées à la pauvreté de l'Afrique. Il fait par ailleurs un pont entre l'Afrique et la France: la françafrique.
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28 mars 2012 3 28 /03 /mars /2012 12:01

Photob 001Les royaumes sahéliens sont mythiques pour les européens : ils sont inaccessibles jusqu’au XVe siècle du fait d’une
triple barrière : le Sahara, les royaumes musulmans et les courants contraires de l’Atlantique. Les cartes européennes
du début XVIe siècle sont donc totalement fantaisistes : mélange entre les renseignements d’Hérodote, de Ptolémée et
les mythes parabibliques des mines de Salomon ou du royaume du prêtre Jean.
Hormis les fouilles archéologiques qui se multiplient ces dernières années, nous connaissons l’histoire de ces royaumes avant tout par l’entremise des Arabes. Des sources à considérer avec prudence : tout comme pour les européens de l’époque, tout le sud du Sahara porte pour eux un fort parfum de mythe. Ce sont néanmoins les Arabes qui ont donné son nom à cette partie de l’Afrique. Pour eux, elle porte deux noms : « Sahel », qui signifie « rivage » et « Bilal el
Sudan » qui signifie « pays des noirs ». Nous disposons grâce à eux de descriptions précises sur certains points, à
certaines dates : difficile, donc, de faire une histoire complète des royaumes. Le point de vue islamocentriste adopté
par ces géographes introduit également un biais fort gênant. Ils nous ont néanmoins laissé quelques fort belles cartes…

Dernière source, locale et vivante, l’histoire orale véhiculée depuis des siècles par les griots. Là aussi, la prudence
s’impose.
 Un vocabulaire européen qui ne correspond pas à la réalité africaine
Des mots aussi simples que roi, empire et capitale prennent ici un autre sens:
- Un roi ressemble à un chef de famille, de clan, de village : il gère les biens, prend les décisions après avis des
anciens et communique avec les esprits des aïeux. (Il a donc un rôle religieux sans tenir forcément son pouvoir
des dieux). Même s’il utilise sans vergogne la violence pour imposer son autorité, son pouvoir n’est pas absolu
car il doit composer avec la tradition et tenir compte de lois orales.
- Une capitale reprend l’organisation d’un village à une échelle plus grande. Un palais royal n’est rien de plus que
la maison d’une famille, en plus monumental. Sauf exception, même pour les monuments les plus importants,
les techniques de construction sont les mêmes que celles d’une maison, à base de terre et de bois (le banco).
De quoi compliquer sérieusement la tâche des archéologues.
- Un empire n’est pas à proprement parler un territoire: En effet le roi africain ne dirige pas tant une terre que
des hommes. A la différence de l’occident médiéval, la terre n’est donc pas l’élément déterminant du pouvoir.

Cela se comprend dans la mesure où la pauvreté des sols oblige à déménager fréquemment les villages
(« shifting cultivation »). Un empire peut donc s’agrandir ou rétrécir très vite, selon la personnalité, l’aura du
roi. La terre n’est donc pas le moteur de l’évolution économique. Il n’existe pas plus d‘unité ethnique et l’unité
culturelle n’est pas recherchée (coexistence systématique de l’Islam et de l’animisme). Un empire africain
médiéval ne possède donc pas de frontières et n’a pas de nom. Les noms que nous utilisons aujourd’hui sont
ceux donnés par les Arabes et ont été forgés à partir du titre que portait le roi.


 une mémoire très vive en contrepoint d’un déni
Les histoires de ces royaumes sont aujourd’hui un enjeu mémoriel de premier ordre en Afrique. Ils sont souvent utilisés
pour justifier des nationalismes parfois racistes et violents. Le Ghana a récupéré le nom de l’empire sans en avoir les
frontières. Certains maliens rêvent d’en « grand Mali » purifié de « races » étrangères. Des Soninkés ou des Malinkés
pensent à une revanche contre les berbères ou les marocains. Le Monomotapa est un club de football aux supporters
assez excités pour croire en une reconstitution de l’empire. On va jusqu’à prétendre que ce sont les expéditions
maliennes qui ont découvert l’Amérique, comme en témoigneraient certains traits des civilisations amérindiennes.
Certaines de ces exagérations s’expliquent sans doute par la volonté de contrebalancer les effets de la colonisation
européenne : malgré les recherches précoces et les conclusions souvent visionnaires de quelques chercheurs, la
majorité des européens était et reste persuadé que l’Afrique n’a pas d’Histoire précoloniale. En témoigne par exemple
le refus d’accepter que le Zimbabwe puisse avoir été construit par des noirs. Certains auteurs préfèrent faire appel au
roi Salomon ou aux Phéniciens plutôt que de l’accepter. Autre exemple très parlant, la première histoire du
Monomotapa, écrite par A. Wilmot en 1896 comporte trois chapitres intitulés « les Phéniciens », « les Arabes », « les
Portugais »…Toute civilisation africaine serait donc nécessairement exogène ! Sans doute préfère-t-on oublier que
l’empire du Ghana, contemporain de celui de Charlemagne, était le plus vaste des deux.

 

 des traits communs entre les quatre royaumes

 

1) le commerce
a) le commerce intra africain
Le commerce est structuré par les fleuves Sénégal et Niger sur lesquels des pirogues assurent le trafic. Pour la
traversée du Sahara (entre 25 et 50 jours) les chameaux (de 1000 à 12000 par caravane) et les baudets prennent le
relais.

Plusieurs monnaies sont utilisées: le cauris (coquillage venant de l’océan Indien), le sel, des barres de cuivre, la poudre d’or, le dinar d’or ou le troc. Le commerce silencieux ou « à la muette » est fréquent au début du Moyen Age. Les royaumes saheliens disposent rarement de ressources sur leur sol. Ils s’enrichissent en jouant le rôle d’intermédiaires :
par exemple l’or du Bambouk et du Tekrour, dont la provenance précise est soigneusement cachées par les peuples qui exploitent les mines sont échangés contre le sel du Sahara. Or, sel, esclaves, ces trois marchandises forment la base du commerce transsaharien.


b) Les traites orientales :

 

le Moyen Age, surtout à partir de l’expansion musulmane, voit se créer un grand commerce international des esclaves
noirs, de l’Atlantique à la mer Rouge, suivant durant près de 13 siècles les mêmes routes transsahariennes et
maritimes. Un commerce d’une stabilité et d’une durabilité exceptionnelle, donc, rendu possible par l’importance du
« réservoir de main d’oeuvre » que constitue l’Afrique Subsaharienne, mais aussi par des facteurs moraux et
économiques. Facteur moral : La Charia interdit de réduire un musulman à la condition servile, a contrario tout infidèle
est un esclave potentiel. Dans le monde musulman, les captifs noirs razziés au sud du sahara étaient donc les plus
nombreux. Facteur économique : La guerre et le commerce sont les deux moyens d’enrichissement privilégiés des
souverains des royaumes subsahariens, ce qui est également valable pour leurs guerriers et leurs marchands : la traite
est donc à l’intersection de ces deux activités fondamentales, même si Pétré-Grenouillot souligne que le plus souvent,
les esclaves sont plutôt un « sous produit » qu’un but de guerre.
Outre les conflits, la traite peut être alimentée par l’esclavage tributaire, les dettes ou des condamnations, par exemple
pour sorcellerie. La « production » d’esclaves est donc intensive, soit pour le marché domestique, soit pour l’exportation
vers les pays musulmans. Dans les royaumes sahéliens, les captifs deviennent domestiques, soldats, mineurs,
cultivateurs ou fonctionnaires. Leur carrière peut parfois être brillante : pour contrebalancer l’influence de l’aristocratie
héréditaire, les rois aiment en effet s’entourer de hauts dignitaires esclaves qui leurs sont tout dévoués.
Pour l’exportation, d’après Ibn Battuta, on les convoie dans des caravanes de 600 esclaves qui traversent le Sahara en
deux mois et demi, au prix d’une forte mortalité (de 6 à 20%). Les femmes de certaines ethnies sont particulièrement
appréciées à la cour des Fatimides ainsi que les eunuques noirs, mais plus nombreux sont ceux qui travaillent dans
l’agriculture (notamment l’entretien des structures d’irrigation) ou deviennent artisans, mineurs (sel, or) ou soldats.
D’autres esclaves font le trajet inverse : des Mamluks turcs forment ainsi la garde personnelle du roi Songhay, dont le
harem est en partie composé d’esclaves venant d’Egypte.
Les estimations du nombre d’esclaves vendus en Afrique occidentale sont sujet à polémique : selon les auteurs, les
chiffres varient de 10 000 à 20 000 par an durant toute la période médiévale (20 millions entre 650 et 1920, dont 9
millions pour la traite transsaharienne et 3 millions pour l’esclavage interne.)

 

c) Et l’Europe ?
Quasi absents au XIIe siècle, des marchands européens accèdent peu à peu au commerce africain en ouvrant des
comptoirs dans les villes du Maghreb. Au XVe siècle, par exemple, on trouve à Oran des marchands catalans,
majorquins, castillans, génois, vénitiens, pisans et marseillais Si tous se pressent ainsi dans le Maghreb, c’est bien pour l’or africain, dont l’importance pour l’économie européenne doit être questionnée. On sait bien que cet or a une
importance primordiale pour les souverains maghrébins. Il leur permet de mener une politique de prestige passant par
un monnayage d’or intensif. Pour les villes marchandes européennes, quelques chiffres montrent que cet or n’est pas
moins important : En 1377, le bénéfice net du commerce génois avec l’Afrique s’élève à 68 000 livres. Durant tout le
XVe siècle, la valeur globale du commerce africano-catalan dépasse 500 000 dinars par an. Outre le commerce, l’or
africain passe dans l’économie européenne par l’entremise des tributs versés par les royaumes maghrébins aux
souverains castillans ou aragonais. La location de flotte de guerre ou de mercenaire est également très lucrative.
Le monopole des marchands arabo-berbères sur le commerce transsaharien gêne cependant autant les rois du Mali et du Songhay que les Européens : dans les deux cas, il s’agit d’un monopole mal vécu. Ambassades, envois de cadeaux et autres échanges de lettres ont cependant peu d’effets.
Il en va de même dans l’océan indien, que les souverains successifs du Caire interdisent aux marchands européens.
Dans cet océan, un grand commerce très actif est en place autour des deux plaques tournantes que sont Aden et Kilwa.
Les commerçants Arabes, Indiens, Indonésiens et Chinois (7 expéditions de Cheng Ho entre 1405 et 1433) viennent y
échanger épices, soie et porcelaine contre du fer, du bois, de l’ivoire et surtout l’or du Monomotapa, dont la production
est estimée à 10t/an durant tout le XVe siècle.

 

On comprend donc pourquoi les marchands européens, Portugais et Génois en tête, tentent une stratégie de
contournement par l’Atlantique au XVe siècle. Jusqu’en 1434, le cap Bojador ne peut être franchi du fait des alizés, des
anticyclones et des navires trop peu maniables. Et le fait est qu’une fois cet obstacle franchi, les marchands portugais
vont être déçus par les petits bénéfices qu’ils réalisent, incapables qu’ils sont de détourner le commerce transsaharien.
C’est, entre autres, ce qui va les pousser, de déception en déception, d’eldorado en royaume du prêtre Jean, jusqu’au
Monomotapa et jusqu’à l’Inde. On comprend également pourquoi, déçus, ils se tournent vers le commerce plus
rentable des esclaves.
Ce commerce n’est pas une nouveauté, puisque certains esclaves noirs atteignent l’Europe dès le Moyen Age. On
signale par exemple 23 esclaves noirs à Catane en 1145 ; d’autres au XIVe en Roussillon, alors qu’à Naples au XVe,
83% des esclaves sont noirs. C’est durant ce XVe siècle que ce commerce, mené par les Catalans, les Portugais et les Génois, va se développer. Les noirs « de Guinée », acheminés par l’Atlantique, sont de plus en plus nombreux sur le marché. On en vend par exemple 800 à Valence en 1495. Mécaniquement, leur prix baisse (de 1 cheval pour 6 esclaves à 1 cheval pour 15 esclaves) et on leur réserve les travaux agricoles les plus durs. La hausse de la demande
européenne entraîne alors d’importants bouleversements dans société africaine, puisque pour payer les produits
d’importations européens, la chasse aux esclaves devra s’intensifier
En Afrique occidentale comme dans l’océan Indien, l’arrivée des européens va donc perturber un système commercial
international bien établi et contribuer à l’affaiblissement des royaumes qui en vivaient.

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